La Presse

La liberté d’expression au début de la Révolution

À partir de 1789, les événements suscitent une insatiable soif de nouvelles. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en instituant la liberté d’expression, déclenche une exceptionnelle floraison de journaux qui est immédiatement perçue comme l’une des grandes nouveautés de la période. Alors que la censure royale n’autorisait que 60 feuilles dans le royaume en 1788, elles seront 500 en 1792 à Paris. Jusqu’au 10 août, toutes les convictions s’expriment dans un climat de liberté illimitée.


Publier un journal est rentable au début de la Révolution. Entre la prise de la Bastille et la chute de la monarchie, il paraît à peu près un nouveau périodique par jour. De nombreux hommes politiques se tournent vers le journalisme pour exposer leurs vues ou acquérir de nouveaux revenus. Ils inventent cette presse nouvelle dans le bouillonnement d’idées qui caractérise la période. Tous fréquentent la Société des amis de la Constitution qui siège dans un ancien couvent de jacobins.


Les gazettes à plus fort tirage ne dépassent pas une diffusion de quelques milliers d’exemplaires, mais elles touchent cependant les grandes masses populaires car la lecture à haute voix dans de petits cercles se développe spontanément. Les clubs jacobins constituent progressivement le réseau de communication le plus important entre la presse et les citoyens moyens. La lecture des journaux anime les Sociétés de province, alimente la correspondance avec celle de Paris et permet aux jacobins d’irriguer d’idées révolutionnaires ces clubs affiliés qui se multiplient dans tous les départements.

Les papiers nouvelles

Située au bas de l’Almanach mural gravé et vendu par Philippe Louis Debucourt pour l’année 1791, cette petite scène constitue l’un des plus précieux témoignages sur la vie quotidienne au début de la Révolution.

 

Une marchande vend les journaux à la criée et au numéro. Ce nouveau mode de diffusion permet de répondre à la demande en suivant le rythme des événements, alors que les journaux ne se vendaient que par abonnement sous l’Ancien Régime.

Tous ces « papiers-nouvelles » ont la même apparence car ils sont imprimés sur le même papier grossier de chiffon blanc et sont faits de feuilles, le plus souvent pliées en quatre ou en huit, avec parfois des couvertures de couleur. Aucun n’atteint le format in-folio, mais certains sont très petits, de format in-12 ou in-16. Sans doute fasciné par ce déferlement, Debucourt a rendu lisibles un bon nombre de ces titres qui n’ont alors que quelques semaines ou quelques mois d’existence. Certains connaîtront une grande célébrité, d’autres cesseront de paraître dès 1791. Tous seront confrontés à l’obligation d’une prise de position politique.

 

Les premiers journaux ont pour objectif de rendre compte des travaux de l’Assemblée constituante et apparaissent aux lecteurs comme les prolongements de celle-ci. Tels sont Le Patriote français de Brissot, dont le tirage atteint 10 000 exemplaires en 1790, le Journal universel ou les Révolutions du Royaume d’Audouin et L’Assemblée nationale et commune de Paris de Perlet.

D’autres se mettent à commenter les débats, comme L’Ami du peuple de Marat – à demi caché sur l’éventaire par les cocardes qui symbolisent la Nation et sont apparues au lendemain du 14 juillet 1789 – ou son imitateur, L’Orateur du peuple de Martel et Fréron. Le journaliste est souvent en ce cas à la fois directeur et rédacteur, parfois imprimeur. Plus qu’un véritable journal, la publication devient alors un pamphlet périodique.

 

Plus modérés sont La Chronique de Paris de Millin et Noël, un des quotidiens les mieux faits de la capitale auquel collabore Condorcet, et Le Courrier de Paris dans les 83 départements, nouveau titre du journal d’Antoine Gorsas qui deviendra républicain après la fuite du roi, en juin 1791. L’Ami de la Révolution. Philippique aux représentants de la nation, aux gardes nationales et à tous les français est dû à un imprimeur, Champigny, qui veut expliquer la Liberté et les bienfaits de l’Assemblée à ses concitoyens. Journal d’extrême gauche, au contraire, Le Mercure national de Louise de Kéralio et François Robert progresse rapidement à cette époque grâce à l’envoi publicitaire de numéros gratuits aux clubs jacobins.

 

Dans cette effervescence, les contrefaçons sont fréquentes – on en connaît quatorze pour Le Postillon publié par Calais et vingt pour le Journal du soir d’Étienne Feuillant !

 

Deux véritables journaux d’information apparaissent comme des précurseurs du journal moderne par leur organisation en équipe : Le Journal des Amis de la Constitution, qui commence à paraître en novembre 1790 sous la direction de Choderlos de Laclos, publie la correspondance des clubs jacobins de province. Le Courrier français, fondé par Poncelin de la Roche-Tilhac, objectif au début, prendra une attitude de plus en plus conservatrice.

 

On se procure sur le même éventaire les publications officielles de l’Assemblée : elle a ainsi décidé de publier L’Adresse de la Société de la Révolution de Londres, présidée par lord Stanhope, reçue à l’occasion du 14 juillet 1790 comme témoignage de la sympathie suscitée à l’étranger par la Révolution, à ses débuts. Le Décret sur l’émission de nouveaux assignats du 28 septembre 1790, que tient la marchande, transforme ceux-ci en un véritable papier-monnaie ; la presse « avancée » et Mirabeau, par ses discours, soutiennent alors cette décision dont ils ne peuvent mesurer les conséquences.

 

À côté d’un libelle d’Anarcharsis Cloots figurent des feuilles, sans doute non officielles, sur les problèmes de l’heure : les biens nationaux provenant du clergé, dont la vente imminente va engager une colossale révolution agraire, et les débuts de l’émigration que révèle la Liste des ci-devant nobles.

 

Les feuilles non révolutionnaires, ostensiblement jetées à terre comme « antipatriotiques » telle la Gazette de Paris de Du Rozoi, sont aussi méprisées qu’un mandement d’évêque, par lequel s’exerçait la censure de l’Église sous l’Ancien Régime, et que l’écrit de Calonne, ancien contrôleur général des Finances, déjà complètement discrédité à cette date comme émigré

La popularisation de l'opinion

La nouvelle société née de la Révolution vit dans la liberté d’expression. Les « papiers-nouvelles » rendent compte des problèmes de cette fin d’année 1790 : l’Assemblée est aux prises avec la question financière, les biens nationaux et les assignats, et avec les débuts de l’émigration. Signe visible des temps nouveaux, la presse modifie les modes de pensée. Par elle s’opère la politisation de