La France sous la terreur

La situation sociale

Dans les campagnes

 

La récolte de 1793 fut médiocre en raison d'une année particulièrement sèche. Celle de 1794 fut compromise par de violents orages. De plus, les paysans refusaient d'envoyer leurs grains dans les villes en raison de la loi qui leur imposait un prix de vente maximum. Dans de nombreuses régions, faute de grains, la pomme de terre faisait son apparition.

 

Côté politique, la vente des biens nationaux et la déchristianisation sont les évènements marquants de la période. La déchristianisation est mal vécue dans les campagnes où les divorces, les exactions contre les prêtres et les religieux, la suppression des offices irritent et exaspèrent le peuple. La vente des biens de l'église et des émigrés a profité principalement aux gros fermiers et aux petits notables. Au bas de l'échelle sociale les plus pauvres n'en ont retiré aucune compensation

 

Dans les villes

 

Certaines villes victimes de la guerre civile comme Bordeaux, Lyon ou Marseille voient leur activité économique anéantie et leur population bourgeoise décimée. D'autres comme Valenciennes, Verdun ou Thionville sont victimes de la guerre et des sièges. Partout c'est la disette qui frappe les populations civiles.

 

Paris et ses sans culottes

 

A Paris, depuis juin 1793 les prêtres se cachent, les églises et la Bourse sont fermées. En avril 1794 le séjour dans la capitale sera interdit par une loi de police générale.

 

Depuis l'adoption du calendrier révolutionnaire le seul jour chômé est maintenant le décadi, le dimanche doit être travaillé. Les sans-culottes en carmagnole, pantalon rayé et bonnet phrygien, armés d'une pique, patrouillent dans les rues de la capitale. Débaptisés, ils se donnent des noms révolutionnaires comme La Violette, Floréal, Bara, Brutus ou Sans Peur. Ils assistent aux assemblées de section et aux réunions des clubs et assurent un service à la garde nationale. Leurs ressources sont en moyenne de cinq livres par jour et leur principal problème comme dans toutes les villes est celui de la subsistance.

 

Des cartes de rationnement sont distribuées. A l'époque où la consommation de pain est de 3 livres par adulte, ils ne disposent dans le pire des cas que d’une livre. La viande manque également, seul le vin semble couler en quantité suffisante. Le niveau d'instruction étant assez inégal, les mots d'ordres sont diffusés par des lecteurs publics qui commentent les journaux et les comptes rendus d'assemblée. Plus de la moitié des sans-culottes sont des artisans ou des commerçants. On les trouve en principe dans les comités civils, les comités révolutionnaires et les sociétés populaires, les femmes en sont exclues. Olympe de Gouges tentera vainement de défendre les droits politiques de la femme mais finira sur l'échafaud en novembre 1793.

 

La loi sur les suspects remplit les prisons et de nouvelles maisons d'arrêt doivent être créées dans d'anciens couvents. Les dénonciations sont innombrables, le certificat de civisme est obligatoire et la chasse aux suspects touche non seulement les accapareurs ou les nobles mais également les relations des prêtres et des nobles. Les personnes tenant des propos séditieux, les fonctionnaires en arrêt d'activité et les parents d'émigrés sont également touchés. 29% des suspects arrêtés sont issus des classes populaires, 18% sont issus des classes privilégiées, 28% de la haute bourgeoisie et 25% sont des fonctionnaires

Les exécutions en cascade

Pendant toute cette période les exécutions vont se multiplier. La "sainte guillotine" récemment inventée (première exécution en avril 1792) favorise le massacre. Chez certains s’instaure un véritable culte ou tout au moins un goût avoué pour le spectacle offert par cette guillotine. Amar ne dira-t-il pas en pleine Convention : "Allons au pied du grand autel voir célébrer la messe rouge".

 

L'accusateur public Fouquier-Tinville en grand inquisiteur fournit les victimes, il est la figure marquante du tribunal révolutionnaire, à ses cotés Herman puis Dumas président le tribunal, les jurés peu actifs sont présents uniquement pour livrer des têtes au bourreau.

 

Dès juin 1793, la machine est mise en marche et le nombre de suspects arrêtés est considérable. Le nombre des condamnations à mort, à Paris, est d'abord relativement rare - une tous les deux jours jusqu'à l'automne 1793 - puis s'accélère progressivement passant à une centaine par mois jusqu'en germinal (mars 1794), 355 en floréal (avril 1794), 381 dans les 22 premiers jours de prairial (mai 1794) pour atteindre 1360 en 47 jours après la loi de prairial (soit une trentaine par jour).

 

Pour passer en revue les procès célèbres:

 

Ce sera d'abord la reine Marie-Antoinette. Transférée de la prison du Temple à la Conciergerie le 1 août 1793, son procès s'ouvrira le 14 octobre et elle sera exécutée le 16 octobre 1793 faisant preuve de beaucoup de dignité et de courage.

Ce fut ensuite le tour des 21 Girondins. L'acte d'accusation d'Amar est présenté le 3 octobre à la Convention et le procès débute le 24 octobre. Chacun d'eux cherche par tous les moyens à défendre chèrement sa tête. Leur éloquence est telle que le tribunal est parfois mis en défaut et le jury, ébranlé dans ses convictions. Le 30 octobre, sentant la partie lui échapper, la Convention adopte une loi sur l'accélération des jugements criminels. Le jour même le tribunal se déclare suffisamment informé et le jury prononce à l'unanimité la culpabilité des 21 Girondins. A la lecture de la sentence Valazé se poignarda dans le tribunal.

Le 31 octobre 1793 les 20 girondins encore en vie passaient sous le couperet avec beaucoup de courage.

 

Le 6 novembre 1793 c'était le tour de Philippe Egalité.

Le 8 novembre 1793 celui de Manon Roland restée célèbre pour son apostrophe à la statue de la Liberté sur les marches de l'échafaud :"Oh Liberté, que de crimes commet-on en ton nom !" .

Le 12 novembre 1793 c'est l'ancien maire de Paris Bailly qui est exécuté.

Après ces procès il y eut Barnave, Kersaint, Lebrun et puis les soldats Luckner, Custine, Biron ou Houchard.

 

Voici quelques procès retentissants de cette période qui correspond à la période dite de la "Terreur légale". Paris ne connaît pas encore la Grande Terreur qui ne se déchaînera qu'après germinal.

La lutte contre les factions

Alors que la montagne vient de triompher de ces ennemis intérieurs et extérieurs elle va se diviser. Regroupement de personnalités d'origines et d'aspirations différentes elle n'était soudée que par son hostilité à la Gironde.

 

 

Les enragés

 

Dans les villes, l'accroissement de la misère avait fait apparaître un mouvement social hostile non plus à la seule aristocratie mais aux riches en général. Ce mouvement prenait naissance dans les faubourgs les plus démunis où les journaliers se sentaient maintenant les laissés-pour-compte de cette révolution bourgeoise et paysanne. Si les paysans avaient obtenu gain de cause avec l'abolition de la féodalité et l'accès à la propriété, le chômage gagnait dans les faubourgs, les salaires ne suivaient pas le mouvement d'inflation dû à l'apparition de l'assignat et le ravitaillement des villes était de plus en plus difficile. Qui plus est, la guerre faisait la fortune de certains bourgeois et le contraste entre ces nouveaux riches et ces laissés-pour-compte devenait de plus en plus criant. La loi Le Chapelier votée par la Constituante bourgeoise leur interdisait même de se coaliser pour défendre une cause commune.

 

Déjà en janvier 1792 une agitation avait secoué les quartiers populaires qui avaient envoyé une délégation défendre leur point de vue à la Législative. En quelques mots le peuple s'indigne de l'attitude de la bourgeoisie qui ignore sa misère et lui rappelle les services rendus dans les premiers mois de la Révolution.

 

Début 1793, Chaumette, procureur de la commune de Paris, reprend ces mêmes arguments et la contestation se développe au sein des sections. En février 1793, une délégation des 48 sections de Paris se présente à la Convention demandant l'établissement d'un maximum pour le prix du blé. Parallèlement à cette action des boutiques sont pillées. La Convention désapprouve cette action et répond en ces termes aux ventres creux :"Le devoir des représentants du peuple n'est pas seulement de donner du pain au peuple comme de la pâture aux plus vils animaux. ... un peuple digne de la liberté supporte les inconvénients inséparables d'une grande révolution ... l'abondance ne règne pas dans nos murs. La ruine du despotisme, le règne de l'égalité, le triomphe des principes de l'éternelle justice reconnus, voilà une partie de nos dédommagements" (sic) signés de Robespierre, Danton, Marat, Billaud-Varenne et d'autres. Une telle incompréhension ne pouvait qu'entraîner une réaction du coté des sections. Le 1er mai les sections du faubourg St. Antoine se déclarent en insurrections. Les porte-paroles de ces manifestations spontanées seront appelés "les enragés", le plus célèbre en sera Jacques Roux. Sous leur pression la Convention institua le 3 mai 1793 un maximum pour le prix du grain. Par cette loi, tout achat ou vente de grain au-dessus du prix imposé était passible d'amende et de la confiscation des marchandises, tout détenteur de grains était également tenu d'en faire la déclaration et l'autorité pouvait requérir tout détenteur de grains d'en apporter au marché la quantité jugée nécessaire. Réaction prévisible, les paysans cessèrent d'apporter leurs grains sur les marchés.

 

Pendant l'été la situation s'aggravait et débouchait sur la loi du 29 septembre 1793 qui instituait le maximum général sur toutes les denrées de première nécessité. Le maximum de ces produits était fixé sur toute l'étendue du territoire à leur valeur de 1790 majoré de 33% et ce pour un an. Il en était de même pour les salaires qui étaient majorés de 50% par rapport au taux de 1790. Les sections qui avaient demandé des prix égaux à ceux de 1790 et des salaires doubles furent déçues par la mesure. Le 2 novembre 1793, suite à de nouvelles émeutes, Barère faisait voter un amendement à la loi qui touchait maintenant toutes les marchandises. Comme les paysans pour le maximum du blé, les commerçants ne respectèrent pas la loi malgré l'arsenal répressif mis en place par les législateurs.

 

Pendant ce temps Roux gênait la Convention. Depuis son passage à l'Assemblée le 25 juin 1793, lors duquel il avait violemment attaqué la bourgeoisie marchande et les grands principes révolutionnaires qui n'étaient que de vains mots, les Montagnards avaient déclenché contre lui une campagne visant à le faire passer pour un contre-révolutionnaire. Exclu du club des Cordeliers puis des sections par la Commune, Jacques Roux fut arrêté le 5 septembre 1793 et se donna la mort plutôt que d'accepter la guillotine. Les autres enragés comprirent la leçon et à l'automne 1793, la faction des enragés n'existait plus.

 

Les Hébertistes

 

Les Hébertistes pouvaient être plus dangereux que les enragés. Soutenus par la Commune dont Pache était le maire, Chaumette le procureur-syndic et Hébert le substitut, leur journal était "Le Père Duchesne" écrit par Hébert et très populaire auprès des sans-culottes. Ils disposaient d'appuis au Comité de salut public avec Billaud-Varenne et Collot d'Herbois, le club des Cordeliers leur était acquis et ils pouvaient compter sur l'armée révolutionnaire.

Opportuniste, Hébert sentit le vent tourner et tenta de prendre ses distances avec cette déchristianisation qu'il avait pourtant prônée, en s'attaquant maintenant au groupe des "indulgents". Ces indulgents étaient "une clique de modérés, de feuillants et d'aristocrates soudoyés par l'Angleterre pour remplacer les Brissotins et brouiller les cartes à la Convention en dénonçant les meilleurs patriotes ... La Convention en mettant la Terreur à l'ordre du jour a sauvé la Patrie; si elle parlait d'indulgence, elle se perdrait avec nous ... Si le rasoir national cessait un seul instant d'être suspendu sur la nuque des contre-révolutionnaires, que deviendraient les patriotes ?".

 

L'agitation contre le coût des subsistances s'accentua en mars 1794. Hébert tenta de prendre la direction d'un nouveau mouvement d'insurrection le 4 mars 1794 quand à la tribune de la Convention il réclamait "l'insurrection contre la modération qui risquait de gagner l'Assemblée". Le Comité de salut public s'inquiéta; les Hébertistes préparaient-ils un coup d'état ?

 

Dans la nuit du 13 au 14 mars (24 ventôse) Hébert était arrêté avec ses principaux lieutenants. Lors du procès ils furent traduits en même temps que des soi-disant agents de l'étranger comme Anarchist Cloots (en tout 18 personnes) et furent guillotinés le 24 mars. Dans les faubourgs, il n'y eut aucune réaction.

 

Les enragés neutralisés, les hébertistes guillotinés la Convention affirmait sa volonté de ne pas vouloir se faire déborder sur sa gauche par le mouvement populaire.

 

Les indulgents

 

Le mouvement des Indulgents pris naissance vers la fin de l'année 1793. Il regroupait un ensemble de personnalités lassées de la Terreur et persuadées que les Français souhaitaient la diminution des exécutions. Pour cette raison, cette faction s'opposait violemment aux Hébertistes avec la bénédiction de Robespierre d'ailleurs. Ils avaient également leur journal "Le vieux cordelier" publié par Camille Desmoulins dont le premier numéro sortit le 5 décembre 1793. Danton apportait tout son soutien au mouvement vers lequel convergeaient rapidement certaines oppositions au régime de Salut Public de Robespierre. Une autre raisons beaucoup moins noble poussait également Danton vers ce mouvement : la corruption de son entourage.

Le 13 janvier 1794, Fabre d'Eglantine était arrêté pour corruption. A travers lui les Dantonistes étaient portés sur la sellette. Au Comité de Salut Public Billaud-Varenne demanda l'arrestation de Danton. On conseilla à celui-ci de fuir "on n'emporte pas la patrie à la semelle de ces souliers" dira t'il. Il est arrêté le 30 mars 1794 avec ses amis Camille Desmoulins, Phélippeaux et Delacroix sur ordre du Comité de Salut Public.

 

Les Dantonistes allaient comparaître au procès amalgamés avec les "pourris" corrompus par l'argent Fabre d'Eglantine, Chabot et Basire, Hérault de Séchelles détesté par Robespierre et Saint-Just accusé d'être le complice de d'Orléans, Brissot, Hébert, Dumouriez et Mirabeau (sic) sera ajouté à la future charrette. Le 2 avril (13 germinal) le procès débutait et rapidement Danton, grâce à sa forte personnalité et à son talent d'orateur, dominait le tribunal. Le 15 germinal Saint-Just arrachait un décret à la Convention :"Tout prévenu de conspiration qui résistera ou insultera la justice nationale sera mis hors des débats sur-le-champ". Le 16 germinal les accusés étaient bien entendu mis hors du débat et la sentence votée fut la mort appliquée le jour même 5 avril 1794.

La France de Robespierre Renforcement du gouvernement et centralisation du pouvoir

Depuis la chute des factions on ne parlait plus à l'étranger que de "la France de Robespierre". Tous, Français et étrangers, voyaient la France s'acheminer vers une dictature de l'Incorruptible. Robespierre se trouvait en effet, maintenant, sans rivaux possibles. Cependant la victoire sur les factions n'était pas celle de l'homme uniquement mais bien celle du Comité de salut public.

 

Ce Comité réélu chaque mois conservait depuis le printemps une grande stabilité. Robespierre, Couthon et Saint-Just (souvent en mission) dirigeaient la politique générale, Barère avait en charge la diplomatie, Carnot la guerre, Saint-André, Lindet, Prieur de la Marne et Prieur de la Côte d'Or se partageaient l'intendance tandis que Collot d'Herbois et Billaud-Varenne s'occupaient des problèmes intérieurs. Le Comité de sûreté générale observait également une grande stabilité autour de Amar, David, Vadier et Lebas. Les six derniers ministres furent supprimés le 1er avril 1794 et remplacés par douze commissions.

 

Les administrations départementales suspectées de fédéralisme perdirent de leur pouvoir. Les Commissaires rappelés, des agents nationaux sont envoyés en Province dans les différents comités et sont chargés de veiller à l'application des lois. Cette multiplication d'agents dont se plaignait Saint-Just entraîna un gonflement des bureaux et des lenteurs dans l'administration.

La Grande Terreur

Paradoxalement, sous cette Grande Terreur, certains terroristes notoires comme Barras, Fouché, Tallien ou Carrier sont rappelés à l'ordre. Ils dérangent Robespierre en discréditant la Révolution. L'Incorruptible fait voter le 8 mai 1794 un décret supprimant les tribunaux révolutionnaires de province de telle sorte que tous les prévenus de la République soient traduits devant un seul et même tribunal : le Tribunal révolutionnaire de Paris

Le rythme des exécutions s'accélère:

 

Le 14 avril, ce sont dix-neuf exécutions des "conspirateurs du Luxembourg", un amalgame de personnes mêlant le sans-culotte Chaumette, le général Dillon, l'épouse de Desmoulins et l'évêque défroqué Gobel.

Le 18 avril, dix-sept hommes ou femmes accusés d'affamer le peuple sont exécutés.

 

Le 20 avril vingt-quatre parlementaires passent à la guillotine.

Le 22 c'est le tour de Malesherbes, Le Chapelier et Thouret.

Le 8 mai les vingt-sept fermiers généraux dont Lavoisier sont exécutéss.

Le 10 mai Madame Elisabeth sœur de Louis XVI est guillotinée.

Le 10 juin 1794, la terrible loi dite du 22 prairial an II allait encore aggraver la Terreur. Cette loi, votée suite à deux pseudo-tentatives d'assassinats sur les personnes de Collot d'Herbois et de Robespierre, déclarait que:

 

Seul le Tribunal révolutionnaire de Paris aura en charge de punir les ennemis du peuple dans les délais les plus courts.

La peine portée contre tous les délits dépendant dudit tribunal sera la mort.

S'il existait des preuves soit matérielles soit morales il ne sera pas entendu de témoins.

 

La loi donnera pour défenseur aux patriotes calomniés des jurés patriotes; elle n'en accordera point aux conspirateurs.

 

La France connaissait l'extrême Terreur, avec une telle loi, supprimant les auditions des témoins et les plaidoiries, les débats allaient considérablement s'accélérer. En un mois et demi, on atteignit 1376 exécutions, soit plus en 45 jours que durant toute la période du tribunal révolutionnaire créé le 6 avril 1793. On vit des erreurs de noms, des amalgames de personnes, des prisons entières vidées et conduites à l'échafaud. Le 9 thermidor, 45 personnes passeront encore sous la guillotine déplacée de la place de la Révolution à la place de la Bastille puis à celle de la barrière du Trône.

La situation intérieure et extérieure

Les nécessités de la guerre imposaient une nationalisation de l'industrie militaire. Des manufactures nationales d'armes et de munitions furent créées. Les nationalisations s'arrêtèrent là, la Convention étant hostile à un dirigisme trop important de l'Etat. Hostile également à un partage général des biens, la Convention souhaitait cependant limiter les grosses fortunes et multiplier les petits propriétaires. Partisans de la liberté de l'économie et d'une démocratie égalitaire et sociale, les Conventionnels voteront successivement une loi instituant l'égalité absolue de tous les héritiers légitimes et naturels, une autre décidant la vente par petits lots des biens des émigrés et des biens nationaux, puis un ensemble de décrets (décrets de ventôse an II) qui permettrait d'indemniser les plus pauvres avec le produit de la vente des biens des personnes reconnues ennemies de la Révolution.

 

La situation extérieure s'améliorait grandement. Nos diplomates montraient leur efficacité dans les pays neutres comme la Suisse ou les Etats-Unis. L'offensive militaire reprenait. Pichegru et son armée du Nord faisaient jonction à Bruxelles avec Jourdan et son armée de Sambre-et-Meuse qui venait de culbuter l'armée de Cobourg le 26 juin 1794 à Fleurus. Cobourg et ses Autrichiens évacuaient la Belgique, les Prussiens se repliaient en Westphalie et les Anglais au Hanovre. Dugommier envahissait la Catalogne, Moncey occupait Saint-Sébastien et sur les Alpes le général Bonaparte proposait l'invasion de l'Italie.


Sur les mers, la situation nous était moins favorable, les Anglais étaient maîtres de la Méditerranée et dans l'Atlantique un convoi de blé venant des Etats-Unis était attaqué par l'Anglais Howe. Une escadre française venue à sa rescousse réussit cependant à faire fuir l'Anglais malgré de lourdes pertes, dont le vaisseau Le Vengeur.


La situation dans les colonies était délicate. Les comptoirs des Indes, Saint-Pierre et Miquelon, la Martinique étaient tombés aux mains des Anglais. Nous gardions le Sénégal, la Guadeloupe et Haïti en pleine guerre civile

L'Être Suprême

 

 

La déchristianisation de l'été et l'automne 1793 inquiétait la Convention et le Comité de Salut Public. Les attaques violentes que subissait le culte catholique, qui n'avait pourtant pas été proscrit par la Convention, pouvaient fournir aux contre-révolutionnaires des prétextes pour allumer une guerre civile. La République ne pouvait pas laisser violer la liberté des cultes sur son propre territoire.

 

Le discours de Robespierre du 21 novembre 1793 posait les bonnes questions " De quel droit des hommes inconnus jusqu'ici dans la carrière de la révolution, viendraient-ils chercher au milieu de tous ces évènements les moyens d'usurper une fausse popularité, d'entraîner les patriotes même à de fausses mesures et de jeter parmi nous le trouble et la discorde ? De quels droits viendraient-ils troubler la liberté des cultes au nom de la liberté et attaquer le fanatisme par un fanatisme nouveau ? De quels droits feraient-ils dégénérer les hommages solennels rendus à la vérité pure en des farces ridicules".

 

En réponse aux déchristianisations, on proposa de mettre en place des fêtes décadaires "placées sous les auspices de l'Être Suprême". Ce culte de l'Être Suprême venait des philosophes déistes et risquait de mettre en place une religion d'Etat. Le 7 mai 1794 (18 floréal an II) Robespierre prononce son célèbre discours sur le "rapport des idées religieuses et morales avec les principes républicains", il fait décréter aussitôt que "le peuple français reconnaît l'existence de l'Être Suprême et de l'immortalité de l'âme" et institue une série de fête célébrant ce nouveau culte.

 

La cérémonie, préparée par David, eu lieu le 8 juin 1794 (20 prairial an II) et fut présidée par Robespierre élu président de la Convention pour l'occasion. Dans un Paris décoré de guirlandes de fleurs et de feuillages, les différentes sections citoyennes en robe blanche, citoyens portant des branches de chêne et enfants portant des corbeilles de fleurs convergeaient vers les Tuileries où Robespierre en tête de la Convention lut un sermon auquel succéda un hymne au Père de l'Univers. Puis tout le monde se rendit en procession au Champ-de-Mars où une montagne symbolique avait été construite parsemée de tombeaux, de pyramides et de temples grecs.

 

Cette fête marquera l'apothéose de Robespierre mais également le début de son déclin.

Le 9 Thermidor

Depuis la cérémonie du 20 prairial, Robespierre était de plus en plus soupçonné de vouloir accéder à la dictature. La Terreur, accrue par les lois de Prairial, semblait inutile maintenant que la situation militaire était redressée. Des rumeurs circulaient, certaines disaient que Robespierre allait arrêter la Terreur pour s'attribuer la popularité d'une telle mesure, d'autres soutenaient que Robespierre souhaitait signer la paix avec l'Autriche pour restaurer Louis XVII dont il deviendrait régent. Rumeurs ou pas, la discorde s'établissait au sein de la Convention et au sein même des deux principaux comités.

 

Collot d'Herbois et Billaud-Varenne se prenaient violemment de querelle avec Robespierre. Saint-Just et Carnot étaient en mauvais terme et étaient rivaux au sujet des opérations militaires. Prieur de la Marne suivait Carnot tandis que Lindet ne pardonnait pas à Robespierre l'exécution de Danton. Barère plus diplomate proclamait perfidement chaque victoire militaire rendant plus insoutenable un régime et une terreur maintenant sans raison.

 

Le Comité de sûreté générale, sous l'influence de Vadier, était maintenant très nettement anti-robespierriste à l'exception de Lebas et de David.

 

A partir du 29 juin 1794 (10 messidor an II), ayant rappelé le fidèle Saint-Just auprès de lui Robespierre ne paraît plus au Comité qu'il juge indocile. Revenant aux sources, il fréquente régulièrement le Club des Jacobins dont il fait exclure ses ennemis, dont Fouché; lentement il prépare son attaque.

 

Pendant ce temps, tous ceux qui se sentaient menacés par Robespierre (Fouché, Barras, Tallien, Collot d'Herbois, …) se rapprochèrent et s'unirent pour faire face à l'épreuve de force. La Montagne semblait être mobilisée contre l'Incorruptible mais pour arriver à ses fins il lui fallait l'appui du centre. La Plaine était alors très courtisée un jour par Robespierre, le lendemain par Fouché ou Tallien, les deux protagonistes cherchant à s'attirer les faveurs d'un Cambacérès ou d'un Boissy d'Anglas encore hésitants.

 

Le 26 juillet 1794 (8 thermidor an II) Robespierre monte à la tribune de la Convention et passe à l'attaque. Désorientant les députés, il s'en prend aux deux comités et appelle la Convention à renouveler ceux-ci sans plus attendre "Disons qu'il existe une conspiration contre la liberté publique ...Quel est le remède à ce mal ? Punir les traîtres, renouveler les bureaux du Comité de Sûreté Générale, épurer ce comité et le subordonner au Comité de salut public, épurer le Comité de salut public lui-même ...".

 

Pour lui, les comités doivent être soumis à la Convention et non l'inverse : "Vous n'êtes pas faits pour être régis, mais pour régir les dépositaires de votre confiance". Les comités l'attaquent, lui Robespierre, justement parce qu'il n'appartient à aucune faction mais à la Convention même. Il se déclare impuissant à faire le bien et à arrêter le mal depuis six semaines à cause de ces comités qui paralysent la marche de la Révolution. S'assurant le soutien de la droite en rappelant comment il avait sauvé 75 Girondins, il attaque la gauche de l'hémicycle au travers de son système financier (Cambon), sa conduite de la guerre (Carnot), la mise en place de la terreur même.

 

 

Stupéfaite, l'Assemblée avait déjà voté l'impression quand Cambon monte à la tribune et prend la parole " Avant d'être déshonoré, je parlerai à la France, un seul homme paralyse la volonté de la Convention : cet homme c'est Robespierre ! ". Ce fut le signal d'une ruée à la tribune, Billaud-Varenne dit : " Il faut arracher le masque. J'aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence, complice de ses forfaits", Amar flétrit " l'amour propre blessé qui venait troubler l'Assemblée ". Panis déclarant qu'une liste de proscrits était dressée demanda des noms, Challier ajouta : " Quand on se vante d'avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez ! " Robespierre ne disant rien, tous les Conventionnels se sentaient visés, en en nommant dix il aurait pu en rassurer trois cents.

L'assemblée se ressaisissant rappela le décret d'impression. La séance était levée à 17h. Robespierre avait perdu la première manche.

 

Le soir même il se rendait au Club des Jacobins où il se faisait acclamer en dénonçant Collot d'Herbois et Billaud-Varenne alors présents qui partirent rapidement aux Tuileries avertir le Comité de salut public. La nuit du 26 au 27 juillet (8 au 9 thermidor) fut tendue dans la salle verte. Saint-Just, impassible, préparait son discours pour la Convention du lendemain ne cachant pas à Collot d'Herbois et à Carnot qu'ils y seraient traités de traîtres.

Le lendemain, 27 juillet 1794 (9 thermidor an II), les membres du Comité recevaient un billet de Saint-Just : " Vous avez flétri mon cœur ; je vais l'ouvrir à la Convention ", tous s'y précipitèrent rapidement il était 10h30. La partie finale était engagée.

 

La Convention était en ébullition. Toute la nuit, des tractations avaient eu lieu entre la droite, le centre et les Montagnards les plus menacés. Saint-Just veut lire son discours préparer la veille mais Tallien et Billaud-Varenne l'en empêchent avec la complicité de Collot d'Herbois alors président de séance. Lebas tente de prendre la parole mais c'est impossible, les ennemis de Robespierre ont juré d'étouffer la voix de ses amis. Robespierre tente également de prendre la parole, des cris fusent " A bas le tyran ! ".

 

Les députés n'osant s'en prendre à Robespierre même demandent l'arrestation de ses deux bras armés : Hanriot, commandant de la Garde Nationale et Dumas, président du Tribunal révolutionnaire. Robespierre tente encore de prendre la parole mais celle-ci est couverte par la sonnette agitée sans arrêt par le président de séance. Enfin un député inconnu, Louvet, se décide à demander l'arrestation de Robespierre. L'arrestation de son Augustin est également demandée puis c'est le tour de Lebas, Couthon et Saint-Just. Un instant après les gendarmes entraient et arrêtaient les cinq hommes. Il était 17h30 la chaleur était suffocante. L'Assemblée pensait avoir gagné.